Race bovine | jeudi 21 janvier 2010 |
Race à deux fins, le lait et la viande, la Normande représente une solution d’avenir pour les éleveurs laitiers du Grand Ouest. Pour l’heure, le cheptel normand se « normandise » au profit de quatre AOC : Livarot, Pont l’Evêque, Neufchâtel et Camembert de Normandie. Attention, cependant, les effectifs tendent à baisser.
La laiterie bas-normande Graindorge, qui célèbre cette année son centenaire, est une pionnière de la « normandisation » du troupeau laitier des AOC Livarot, Pont-l’évêque, Neufchâtel et Camembert de Normandie. Une évolution imposée par les textes de la loi de 2008. Les délais seront tenus, affirme-t-on chez Graindorge. À l’orée de 2010, les troupeaux fournisseurs de lait comportent au moins un quart de vaches normandes pour le Livarot et au moins 10 % pour le Camembert de Normandie et le Pont-l’évêque, conformément au cahier des charges des AOC. Objectif pour ces deux dernières : au moins 50 % de Normandes en 2020 et 100 % pour le Livarot en 2017. Les éleveurs qui fournissent le lait dédié n’ont pas échappé à la chute des cours. Néanmoins, on peut estimer que Graindorge paie le lait entre 20 et 25 % plus cher qu’un lait standard selon les trois critères que sont l’origine raciale, la quantité livrée annuellement et la qualité du lait nécessaire aux fromages au lait cru. Chez Graindorge, on se pare d’optimisme pour fêter le centenaire. On affirme que les ventes de fromages AOC de Normandie supportent relativement bien la crise économique.
Plus performante à l’herbe
Le lait de vache normande est très prisé des fromagers. Il contient une caséine qui améliore de 5 % le rendement fromager. Il est le deuxième, après le lait de vache montbéliarde, en termes de concentration en « matière utile », la protéine notamment. À ce titre, il est mieux rémunéré qu’un lait classique de vache Holstein. « La plus-value est d’une quarantaine d’euros pour 1 000 litres en dehors des AOC, les fournisseurs de lait pour les AOC pouvant récupérer une trentaine d’euros en plus quand ils satisfont aux critères exigés », vante Christian Jégo, responsable du marketing de l’organisme de sélection de la race normande (OSN).
Cet avantage ne tiendrait pas la route si les éleveurs n’en trouvaient d’autres à « normandiser » leur troupeau, soit par l’achat d’animaux de race pure, soit par insémination artificielle. Premier autre avantage : l’écart de production avec la race Holstein, la « noire » dans le langage courant. L’OSN atteste d’un gain de 100 kg par an grâce à l’orientation sélective sur la performance laitière. Utah Beach, la vache qui a remporté le Concours national normand l’an dernier, a produit plus de 11 000 kg de lait pour sa deuxième lactation, entre autres caractères remarquables. Pour autant, la productivité n’est pas le premier souci des éleveurs de Normandes. Christian Jégo souligne que les plus jeunes notamment, ont une approche de gestionnaire : ils optimisent leur production pour obtenir le meilleur excédent brut d’exploitation. C’est en partie une question de système de production. La vache normande est plus performante qu’une autre avec une alimentation à base d’herbe, comme l’encouragent les AOC. Cependant, une étude de l’Inra montre qu’une alimentation d’ensilage de maïs et de concentrés céréaliers donne les meilleurs résultats techniques. La viande est un constituant important de l’excédent brut. Les vaches de réforme, jeunes bovins et bœufs de race normande ont un rendement en viande supérieur aux animaux de race laitière spécialisée, et procurent une plus-value au kilo de carcasse (de 4 centimes et 20 centimes par kg en classe 0 + de la mi-août 2009 à ces dernières semaines). Enfin, cette race rustique facilite grandement l’élevage. Elle est pour cette raison quasiment incontournable en Colombie (premier pays à l’employer, en croisement avec des zébus pour la production de viande), pays montagneux où les troupeaux sont peu surveillés.
Toutes ces raisons font qu’en France, les éleveurs laitiers ayant opté pour la Normande « s’en sortent mieux que les autres », claironne Michel Hamel (voir ci-contre), président fondateur de la filière de viande FQRN, qui fournit Carrefour.
Plus de bœufs que de jeunes bovins
Les apports en animaux de race normande se distinguent sur le plan quantitatif et qualitatif. Selon le Cirviande (entre interprofessionnel régional Bétail et Viande de Basse-Normandie), ils varient peu d’une année sur l’autre, aux alentours de 50 000 têtes, contre 60 000 et jusqu’à 85 000 têtes (record de 2003) pour la « noire ». Par ailleurs les animaux mâles sont des bœufs à 60 % et des jeunes bovins à 40 %, soit l’inverse des autres races. Traditionnellement, on laisse les bœufs sur des prairies reculées en attendant que les prix montent. Sur le plan qualitatif, la viande de Normand tend à être un peu grasse (6,5 % des carcasses sont classées 4 et 5), ce qui fait le bonheur des restaurateurs gastronomiques. Cette propension rend le pilotage de l’engraissement délicat. Les éleveurs s’encombrent de moins en moins de la finition des vaches, autant à cause des prix bas de vente que de peur de fournir une bête trop grasse. Le gras tend à diminuer aussi chez les jeunes bovins normands qui « rajeunissent » depuis 2002 (18 mois de moyenne en 2008), note Yves Quilichini du Cirviande.
Tout va bien, à l’exception d’un petit point noir à l’horizon : la baisse des effectifs, entre avril 2008 et avril 2009, a été plus accentuée en Normande qu’en Holstein. Tendance à long terme ou accident ?
Sylvie CARRIAT