Publié le 26/08/2013 à 08H00
Auzebosc. E’Caux Centre, le temple du bio, vit ses derniers jours. La période de continuation d’activité touche à sa fin. Le 4 septembre prochain, les portes se refermeront. Chronique d’une mort annoncée.
Denis Langlois entouré de Julie Laquière et Christophe Félix,
E’Caux Centre, impasse Bidebeau. Pour qui n’est pas du coin, il faut faire preuve d’opiniâtreté pour trouver.
La future zone commerciale d’Auzebosc est en cours d’aménagement. Le bitume est fraîchement posé, le rond-point quasiment achevé, des lampadaires design n’attendent plus que d’éclairer le chaland. Un accès direct sur la nationale qui longe le site est prévu et pratiquement opérationnel. « Dommage… soupire Denis Langlois. Au moins, ces installations seront profitables aux enseignes qui viendront s’établir ici. Pour nous, il est trop tard. »
«Liquidation totale : -50 % pour les souscripteurs et -35 % pour les particuliers. » Un panneau situé à l’entrée du magasin en guise d’épilogue pour l’histoire d’E’Caux Centre, après une existence éphémère de quatorze mois. À quelques jours de la date fatidique du 4 septembre qui sonnera le glas de la structure bio, plus personne ne croit au miracle. « Il n’y a plus aucun espoir, c’est fini… » murmure Julie Laquière, l’une des deux employés. Pour Denis Langlois lui-même, président-directeur-général de la société coopérative d’intérêt collectif et éternel optimiste, la messe est dite : « Autant solder la marchandise et qu’elle profite aux amateurs. Nous ne savons pas ce que tout cela va devenir. »
Le chaînon manquant
Au commencement, Denis Langlois, les salariés, les souscripteurs, le conseil d’administration : tout le monde avait foi en l’idée. « Je n’étais pas seul à porter le projet », ponctue le PDG. Lancé par l’association Aneth, le principe était de mettre en œuvre un pôle régional de l’agriculture biologique et du commerce équitable. « Il y avait une réelle possibilité, regrette Denis Langlois. Avec l’amorce d’un développement de l’agriculture bio en Haute-Normandie, il fallait un maillon entre producteurs et consommateurs pour compléter la chaîne du bio. »
Les collectivités territoriales, elles aussi, ont répondu à l’annonce faite du « manger mieux, manger bio » : la communauté de communes, le conseil général et l’État ont contribué au denier du culte par leurs subventions.
Le chaos financier
Hélas pour E’Caux Centre, les quelques adeptes du bio présents dans la région n’ont pas suffi : « Notre chiffre d’affaires prévisionnel s’articulait autour de deux grands axes : les particuliers, pour lequel d’ailleurs les résultats ont été au-delà de nos espérances, et le secteur professionnel, notamment la restauration hors domicile (RHD), par exemple les cantines scolaires. » C’est ce dernier secteur, censé représenter deux tiers des rentrées d’argent, qui a péché. « Pourtant, le Grenelle de l’environnement visait 20 % de bio dans le menu des établissements publics pour 2012… » ironise Denis Langlois.
Ainsi, le bâtiment n’est pas encore construit que le chemin de croix commence. Tout commence par une mise en cessation de paiement dès septembre 2011 pour terminer les travaux et pouvoir payer les entreprises une fois les subventions versées. « Il y avait un million d’euros dehors », explique Denis Langlois.
Mais le redressement judiciaire n’arrange pas les affaires du centre. D’une part, les banques toutes-puissantes ne leur renouvellent pas les prêts-relais, d’autre part, la chapelle des marchés publics leur est définitivement close. « Connaissant notre situation, nos réponses aux appels d’offres se soldaient systématiquement par un refus », déplore le PDG.
Enfin, la Haute-Normandie était-elle prête à suivre l’apôtre du bio sur la voie de la rédemption ? « Les populations de nos régions sont très prudentes, avance Denis Langlois. Le Normand avance à tâtons. La culture du bio n’est pas encore entré dans les mentalités comme ailleurs, il y a trop de préjugés. » Le consommateur n’a, selon l’écologiste, pas encore conscience de l’impact des méthodes actuelles de production et leurs dangers pour la santé et l’environnement. Pourtant, il continue d’espérer : « S’il y a un repreneur et si le centre poursuit sa vocation, j’espère que cela marchera un jour. »
Un gâchis pour Denis Langlois qui y croyait vraiment.