Paroles d'experts la chute des prix Agricoles
MAI 2008
« On ne retrouvera jamais
les prix bas des années 90 »
Philippe Chalmin, économiste spécialiste du marché
des matières premières, répond aux attaques de
Jacques Carles et exprime son point de vue sur l’état
du marché agricole.
Que pensez-vous du modèle économique du Moma ?
Rien, puisqu’à ma connaissance, ils n’ont encore rien publié. Je ne
peux pas critiquer sans savoir. Mais je pense bien connaître le sujet, et je ne vois pas ce qu’ils
pourraient apporter de nouveau qui n’aurait jamais été essayé d’une manière ou d’une autre.
Jacques Carles accuse les experts qui annoncent des prix durablement élevés de pousser
à la spéculation. Que lui répondez-vous ?
Je ne dis pas que les prix vont rester aussi élevés qu’aujourd’hui. Je pense qu’ils devraient fl échir,
mais que l’on ne retrouvera jamais les prix bas des années 90. Bien plus que la volatilité, qui parfois
est due à la spéculation, la fl ambée des prix est surtout imputable à un déséquilibre. Dans les
années 90, la faiblesse des prix a poussé à un virage des politiques agricoles. Aux États-Unis et
en Europe, on poussait les agriculteurs à produire peu. Aujourd’hui, il y a une augmentation de la
demande. Alors on se retrouve avec un déséquilibre entre l’offre et la demande.
Comment peut-on régler ce problème ?
Il faut prendre au sérieux le message des marchés : la rareté est un problème. Il faut donc développer
les productions, voire atteindre l’autosuffi sance alimentaire. Si on veut que les producteurs donnent
au marché, il faut leur donner un prix. Et ceci passe par une politique agricole. Seulement qui peut
la payer ? Les consommateurs ou les contribuables. Et en Afrique, il n’y a ni l’un, ni l’autre. Dans
ce cas, c’est à la communauté internationale d’aider. Mais je ne crois pas à une politique agricole
internationale. C’est de l’utopie.
■
Jacques Carles, délégué général de
MOMAGRI, le Mouvement pour une
organisation mondiale de l’agriculture.
MOUVEMENT POUR UNE ORGANISATION MONDIALE DE L’ A G R I C U LT U R E
«Tout le monde nous a pris pour
des fous furieux »
– Jacques Carles
En mars 2008, le
Mouvement pour une organisation
mondiale de l’agriculture (MOMAGRI)
a prédit que les prix des matières agricoles
allaient s’effondrer brutalement.
Au Parlement européen, les porteparole
de la nouvelle organisation ont
passé pour une bande d’hurluberlus.
Trois mois plus tard, la chute drastique
des prix allait donner raison à MOMAGRI,
créé pour rappeler que l’agriculture
est essentielle pour l’avenir de
l’humanité.
« Tout le monde nous a pris pour
des fous furieux », rappelle Jacques
Carles, délégué général de MOMAGRI.
Celui-ci était de passage la semaine
dernière à Québec pour expliquer les
origines et les objectifs de MOMAGRI.
Né en décembre 2005 à l’initiative de
responsables du monde coopératif et
d’économistes français, MOMAGRI
entend proposer au monde un modèle
qui tient compte du caractère spécifique
et stratégique de l’agriculture.
D’ici la fin de l’année, MOMAGRI
entend créer une agence d’évaluation
et de notation. Cette agence aura pour
fonction de bâtir des indicateurs qui
permettront de mieux saisir l’importance
des phénomènes propres à l’agriculture,
dont la volatilité des prix.
Selon Jacques Carles, les grandes
organisations internationales, telles la
Banque mondiale, l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) ou
l’Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO),
basent leurs interventions sur l’indicateur
ESP. Cet indicateur, mis au point
par l’Organisation de coopération et
de développement économiques
(OCDE) dans les années 70, évalue le
soutien public à l’agriculture en pourcentage
de la valeur de la production.
« Cet indicateur est faux et archi
faux, affirme à la
Terre Jacques Carles.
On ne tient pas compte des éléments
de soutien public qui sont des dépenses
annexes et qu’on ne retrouve pas
dans les budgets. Chaque État a sa
manière pour réduire le déficit apparent
et isoler certaines dépenses. Les
Américains sont très forts pour ça. »
Jacques Carles estime que les négociations
« schizophréniques » de
l’OMC du cycle de Doha sur l’agriculture
ne peuvent que conduire au
désastre. À son avis, l’OMC fonctionne
« à l’aveugle » parce qu’elle ne dispose
pas de données fiables depuis
six ans. Il juge que les négociations y
sont « un jeu de poker menteur » et
de croire que la libéralisation des
échanges profitera aux pays pauvres
constitue « une absurdité incroyable
».
« C’est devenu une tarte à la crème
médiatique, déclare-t-il. Tout le
monde a l’impression que c’est la réalité.
Il y a une illusion extraordinairement
dangereuse de penser que si on
arrête les subventions dans les pays
riches, demain les pays pauvres vont
exporter. Oui, mais ils n’ont plus d’agriculture.
Ils vont exporter quoi? C’est
absurde de penser que, si on produit
deux fois plus, les hommes mangeront
deux fois plus. »
Autre absurdité, Jacques Carles met
en évidence le fait que la Banque
mondiale n’a consacré en moyenne
que 3% de ses prêts à l’agriculture au
cours des trente dernières années.
Rien d’étonnant, juge-t-il, à ce que l’agriculture
des pays pauvres ne se soit
pas développée. La spéculation,
ajoute-t-il, vient amplifier la volatilité
des prix des matières agricoles.
Aujourd’hui, près de la totalité des
contrats à la Bourse sont purement
spéculatifs et les écarts de 10 à 15 %
en quelques heures sont monnaie
courante.
« Pour un spéculateur qui aime
jouer, caricature Jacques Carles, c’est
vraiment casino! Les modèles actuels
considèrent que l’offre s’ajuste
automatiquement à la demande. La
seule chose qui est prévisible, c’est
l’instabilité des prix. »