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Agricultorportrait Xavier Beulin. Patron d’une PME leader dans l’oléoprotagineux, le nouveau président de la FNSEA ne croit qu’en l’industriel.

19 Mai 2011 , Rédigé par jr Publié dans #FNSEA

Premier contact, au siège de la FNSEA, perdu dans une rue sans âme de l’ouest parisien. Quelque chose cloche. Les mains, lisses et soignées, offrent une poignée retenue, plus proche d’une pince de col blanc que des battoirs d’un gars du terroir. Coupe gominée, costume impeccable sur carrure trapue, grosse chaîne en or, Breitling, chaussures fines et cirées : Xavier Beulin, le nouveau président du syndicat qui chuchote à l’oreille des ministres de l’Agriculture, a la rutilance d’un homme d’affaires. Pardon, d’un «entrepreneur». On apprendra plus tard qu’il juge le premier terme trop connoté perso, alors qu’il revendique le second, au nom de la «réussite collective».

D’entrée, on est pris dans un tourbillon technico-politique. PAC, OMC, G20, flambée des cours des céréales… Xavier Beulin maîtrise «assez bien ses dossiers». Fausse modestie. La voix est enveloppante, sans une pointe d’accent. Ici ou là, un «bon» prononcé «boan» ou un «ah ben» ponctuent un phrasé policé, une langue de bois qu’on voudrait tailler en copeaux, si seulement le ton n’était pas si charmeur.

Ce charisme onctueux l’a aidé à gravir les échelons syndicaux, à cumuler les mandats. Une bonne douzaine l’an dernier, jusqu’à la présidence du port de commerce de La Rochelle. Il a promis de tout lâcher, sauf le Conseil économique, social et environnemental de la région Centre et Sofiprotéol, qu’il dirige depuis dix ans. Sofiprotéol ? Une PME qui sent bon la profiterole ? Pas vraiment. Sofiprotéol est le bras armé industriel et financier de la filière oléoprotagineuse : «Au début des années 80, on nous avait condamnés, nous les producteurs de colza et de tournesol. Pour survivre, on a investi dans des usines.» Résultat, plus de cinq milliards d’euros à la pesée. Sofiprotéol, c’est de l’huile pour vous et moi (Lesieur, Puget, Isio), des tourteaux pour le bétail (Glon Sanders, numéro 1 français de l’alimentation animale). Et un torrent de carburant (Diester Industrie, champion européen du biodiesel), qui a valu à Beulin un surnom, «l’émir vert», et une réputation de Caterpillar de l’agriculture. Xavier Beulin en est persuadé, Sofiprotéol, c’est le modèle à suivre. Pour lui, l’agriculture sera industrielle ou ne sera pas.

Elu en décembre face à un éleveur au parler rocailleux (36 voix contre, 31), l’émir, qui officiait jusqu’ici comme «monsieur international» de la FNSEA, entend incarner une agriculture tricolore conquérante. Dans son viseur, la rive sud de la Méditerranée. Suivez, là encore, l’exemple de Sofiprotéol. Le groupe lorgne le Maroc et l’Algérie, après avoir investi la Tunisie, où Beulin possède un «petit pied-à-terre» (pour sa seconde femme et leurs quatre enfants à eux deux, lui ne connaît pas le mot vacances). Néocolonialisme ? «Coresponsabilité et codéveloppement. Ces pays attendent énormément de la France.»

Quand Beulin prononce le mot France, des drapeaux flottent au vent et c’est le 18 Juin dans ses yeux. On le compare à Napoléon. Il se réclame de De Gaulle. Sans aller jusqu’à se dire de droite - la présidentielle approchant, «il y a des gens bien partout» -, même si la FNSEA a toujours penché de ce côté-là.Sortez vos mouchoirs : «J’ai mal à la France. Notre agriculture décline. On est passés numéro trois européen derrière l’Allemagne et les Pays-Bas. Je veux me battre pour inverser cette tendance !»

Xavier Beulin est de la race des pugnaces, de ceux plongés trop tôt dans le bain des décisions à prendre. Enfance «plutôt heureuse». Famille «modeste», parents paysans, tous deux du val de Loire. 50 hectares dans le Loiret, au nord d’Orléans, «pas dans la Beauce». Et puis un jour, la vie qui déraille. Décès brutal du père, un soir d’octobre 1976. Xavier Beulin a 17 ans. A 3 heures du matin, la décision est prise : aîné de quatre, il sera chef de famille. Arrêt net du lycée. «Reprendre l’exploitation, c’était pas un choix, après ça l’est devenu. C’est la vie qui vous impose ça.» Trois ans plus tard, «on vient le chercher» pour participer aux activités des Jeunes agriculteurs. Son université. «Sans eux, je ne serais pas là.»

Dans son bureau qu’il trouve «horrible» - à juste titre -, des bouquins à caractère agricole et religieux, une statuette équestre. Vestiges de ses prédécesseurs. Xavier Beulin n’y a pas touché. Pas le temps. Ses seuls effets ici : ordinateur portable, Blackberry et casque de moto. Passion qui lui a coûté une épaule, un accident récent.

On a du mal à l’imaginer dans un champ. On le lui dit. Jusqu’ici avachi, il se redresse : «Le week-end dernier, j’ai fait dix-sept heures de tracteur ! Un plaisir, je m’arrête même pas le midi. Et quand je vais à l’étranger, la première chose que je fais, c’est sentir la terre.» Deux week-ends par mois, il rejoint son exploitation. Qui a pris du ventre. 500 hectares de blé, orge, colza, tournesol, maïs et pois protéagineux, cultivés avec son frère et deux cousins. Plus 20 vaches et des asperges. Depuis son fauteuil parisien, l’homme multiplie les gages de ruralité, tire ses racines du sol et vous les envoie dans les dents, tout sourire. «Vous savez comment ça pousse, les asperges ?» Euh… «Elles prennent 5 à 7 centimètres par jour. Pour qu’elles soient blanches, il faut les lever avant qu’elles ne sortent de terre. Avec une gouge, d’un coup sec.» Il se souvient des joies de la récolte des haricots, gamin, au mois d’août. «On se faisait des cabanes sous les claies.» Ambiance petit bal perdu de Bourvil.

Sous les apprêts du costard, Beulin est donc un agriculteur, un vrai, né les deux pieds plantés dans la terre. Il est mort, le sol, il ne produit plus que sous perfusion, alarment des agronomes. Une fuite en avant, dopée à la pétrochimie, dont les agriculteurs sont les premières victimes. «Des clichés !», balaie-t-il. La voix est posée, mais il triture un bouchon de Perrier. Il sert un discours lénifiant, orné de formules du style «produire plus et produire mieux». Il s’agace. «Ne soyez pas en extase devant le bio non plus. Je veux bien être gentil mais quand même. Dans ce pays, une famille avec trois gamins qui ramène 1 500 euros par mois, elle peut pas se nourrir avec du bio, je regrette.» Oui, mais du bio local, sans marketing ? «Non !» Il tape - doucement - du poing sur la table. Bout, aimerait taper plus fort. «Non, mais ça veut dire quoi ? Que le paysan, la binette à la main, produit au même prix que l’agriculture conventionnelle ? Vous rêvez ou quoi ?» Et de railler le «sport à la mode» consistant, le dimanche, à «sortir sa bagnole, faire 25 km pour chercher trois salades et deux poireaux à la ferme. Le bilan carbone est archinégatif». Et puis, à une question sur les OGM, comme pour lever à la gouge et d’un coup sec l’asperge bio qui pousse en vous : «Je vais vous choquer, mais j’ai la conviction que les biotechnologies, c’est l’avenir de l’agriculture biologique.» Une certaine idée de la FNSEA. Décomplexée.

 

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G
<br /> Blackberry et le petit bal perdu de Bourvil, dans le même article, si au moins il ce rendait compte que son parcours sera de moins en moins possible, le foncier augmentant, l'écart<br /> salarié-agriculteur ce consolidant depuis les années 80,etc...<br /> Bref, tout ce qui lui a permit de réussir, la compétitivité le détruira, la commission va être contente grâce à la sécheresse, le cheptel Français va s'appauvrir, d'ici un an, on aura même plus<br /> l'excuse d'avoir assez de viande pour nourrir les Français, on sera bien obligé d'acheter de la viande en dollars, d'Argentine ou d’ailleurs.<br /> Au moins on peut pas lui enlever de voir juste, l'autosuffisance alimentaire, on s'en fou, les futurs PAC de 62 seront pour l'énergie.<br /> <br /> <br />
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